Le 20 novembre 2018, le secrétaire d’État Blokhuis de VWS a envoyé sa lettre tant attendue « Plus loin avec la vaccination » à la Chambre des représentants. Cela s’explique par plusieurs questions parlementaires ici et ici et, plus généralement, les troubles croissants concernant la baisse du taux de vaccination aux Pays-Bas. Dans cette lettre, le Secrétaire d’État propose « six lignes d’action » pour accroître la volonté des parents de permettre à leurs enfants de participer autant que possible au Programme national de vaccination. Le taux de vaccination aux Pays-Bas est supérieur à la moyenne en Europe ; la rougeole a déjà éclaté dans d’autres pays européens avec plus de 70 décès depuis 2017, presque exclusivement non vaccinée. Mais aussi aux Pays-Bas, le taux de vaccination a baissé pendant trois années consécutives. Étant donné qu’il n’existe actuellement aucun risque aigu d’épidémie, l’objectif de la lettre de la Chambre est explicitement de déterminer le taux de vaccination dans le cadre du calendrier volontaire actuel. , les mesures plus contraignantes étant maintenues sous contrôle pour le moment.Je considère des mesures de grande portée de nature plus obligatoire, y compris, en dernier lieu, une obligation de vaccination, disproportionnée par rapport au taux actuel de vaccination… Toutefois, si la diminution du taux de vaccination persiste et met donc en danger la santé publique, je dois envisager des mesures plus obligatoires (p.3).La lettre de la Chambre traite de six lignes d’action visant à stimuler la préparation de la vaccination volontaire : améliorer la communication avec les parents sur la RVP ; et, dans ce contexte, renforcer le rôle des professionnels ; fournir un programme de rattrapage pour les jeunes de 16 à 18 ans afin de gérer les vaccins manqués de la RVP ; programme de vaccination contre le VPH et recherche sur les solutions pour les enfants non vaccinés placés en garderie. Je voudrais discuter de cet article principalement une dernière ligne d’action dans le Lettre de la Chambre qui veut contrer la désinformation sur les vaccinations.
Lutte activement contre les informations incorrectes
Le secrétaire d’État ne cache pas son inquiétude face au pouvoir de la désinformation sur la vaccination. Il constate combien certains acteurs, sur internet ou lors de discussions avec les parents, diffusent des idées inexactes avec énergie. Ce climat d’incertitude pèse sur les familles et met inutilement la santé des enfants en danger. Pour lui, la situation ne doit pas durer, et il entend s’y attaquer.
Mais d’où vient ce flux de messages trompeurs ? Dans d’autres analyses, dont certaines réalisées avec Marcel Verweij, le rôle du mouvement anti-vaccination a été disséqué. Ici, la focale se resserre sur trois illustrations concrètes de cette désinformation, en s’appuyant notamment sur une réaction de VaccinFree à la lettre parlementaire de Blokhuis. Avant d’aller plus loin, il est utile de rappeler que les fondements scientifiques, statistiques, épidémiologie, sciences médicales, sont régulièrement mis à mal par ces discours. Pourtant, il ne s’agit pas toujours de manipulation volontaire, mais parfois d’une vision du monde radicalement différente. Ceux qui propagent ces thèses y croient sincèrement, ce qui rend la lutte contre leurs arguments encore plus complexe. Lorsqu’un dialogue n’a pas la même logique de départ, l’opposition ressemble à une guerre de sourds.
Consensus scientifique, controverse sur les réseaux sociaux
Dans la communauté scientifique, la sécurité et l’efficacité des vaccins intégrés au Programme national de vaccination ne font pas débat. L’idée que l’immunité collective protège l’ensemble de la société est largement partagée. Un véritable débat académique existerait s’il y avait, en parallèle des milliers d’articles démontrant l’efficacité des vaccins, une masse équivalente de publications établissant des effets secondaires graves ou une efficacité limitée. Ce n’est pas le cas. Les rares articles critiques reposent souvent sur des échantillons très restreints et se voient rapidement contredits par des études plus robustes.
Certains travaux tirent des conclusions exagérées, par exemple en déclarant que l’aluminium contenu dans les vaccins est dangereux, sans rappeler que seules des doses infimes de sels d’aluminium sont utilisées, bien en deçà de l’exposition quotidienne via l’alimentation. Ainsi, la discussion scientifique sur l’efficacité des vaccins n’existe plus vraiment depuis des décennies. Les opposants à la vaccination, en revanche, refusent ce consensus. Ils affichent une défiance profonde envers la médecine conventionnelle et les institutions comme le RIVM, affirmant que les chercheurs sont mus par des intérêts financiers liés au Programme national de vaccination.
Des organisations telles que la Nederlandse Vereniging Kritisch Prikken (NVKP) et VaccinFree orchestrent la diffusion de ces « faits alternatifs », persuadées d’un vaste complot qui cacherait la supposée « vérité » sur les vaccins et accuseraient l’industrie pharmaceutique d’empoisonner la population par appât du gain. Pourtant, on peut interroger la politique des laboratoires sans pour autant sombrer dans la théorie du complot.
À noter : ces groupes restent à l’écart du débat académique, ils ne publient pas dans les revues scientifiques, préférant mener une bataille parallèle sur internet et les réseaux sociaux. En se tenant à distance du terrain scientifique, ils construisent ainsi une réalité presque indépendante des faits établis par la recherche. Voyons trois exemples concrets.
Vaccinés et méningocoques
Premier cas : la vidéo de Door Frankema sur le site VaccVrij, qui cible spécifiquement les adolescents de 14 ans. Elle s’appuie sur des données du Bureau central de statistique pour affirmer que la gravité de la maladie méningococcique aurait fortement diminué dans leur tranche d’âge : 9 décès en 1991, 6 en 2001, aucun en 2017. Mais elle oublie de préciser que les chiffres de 2017 sont provisoires et, surtout, elle passe sous silence l’explosion des cas et des décès en 2018.
Les données du RIVM, pourtant disponibles au moment de la publication de la vidéo, dressent un tableau bien différent : après une accalmie, le nombre de cas et de décès dus au méningocoque W remonte brutalement, en particulier chez les 14-19 ans, avec 49 cas et 13 décès entre janvier 2015 et octobre 2018. Frankema tait aussi le fait que 30 à 50% des survivants gardent des séquelles lourdes : insuffisance rénale, membres amputés. Rien de rassurant pour des jeunes de 14 ans.
Sur la question des effets secondaires des vaccins, Frankema brandit la notice, évoquant une longue liste de risques, mais sans jamais préciser leur fréquence ni leur gravité. Or, les adolescents invités à la vaccination reçoivent bien une information sur les effets indésirables, et la notice est aisément accessible. Accuser les autorités d’omettre ces informations n’a donc aucun fondement.
Le secrétaire d’État Blokhuis ne mâche pas ses mots à propos de cette vidéo. Sur Radio 1, il parle de « la plus grande absurdité » et résume la démonstration de Frankema comme « un pur mensonge ». Une déclaration rare dans la bouche d’un responsable politique.
Homéopathie et discours anti-vaccin
Autre cas édifiant : l’émission Monitor a récemment révélé que le NVKP, en plus de semer le doute sur les vaccins officiels, propose aux parents inquiets toutes sortes d’alternatives homéopathiques, dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. La méfiance envers les effets secondaires allégués devient ainsi un argument de vente pour les homéopathes. Non seulement le site met en avant des praticiens proposant ces remèdes, mais il réactive aussi le mythe du lien entre vaccins et autisme, ouvrant la voie à des « traitements » pseudo-scientifiques censés « débarrasser » les enfants des effets des vaccins.
Ce discours est doublement nuisible. D’abord, il détourne les familles des vrais vaccins, fragilisant la couverture vaccinale et exposant tout le monde à des épidémies évitables. Ensuite, il donne de faux espoirs aux parents d’enfants autistes, qui risquent de gaspiller temps et argent alors que l’autisme n’a rien à voir avec la vaccination.
La réaction du ministre Hugo de Jonge ne s’est pas fait attendre : « Pourquoi donner une tribune, encore et encore, à des discours qui sèment la peur ? » martèle-t-il sur Twitter. « La science médicale n’est pas une opinion, les histoires antivax ne sont pas inoffensives. »
Le secrétaire d’État Blokhuis, lui aussi, veut agir. Il envisage d’adapter le rôle de l’IGJ, voire d’élargir ses compétences ou de revoir le cadre légal, pour mieux contrer ces recommandations trompeuses, même si elles ne mentionnent pas explicitement de noms de produits.
Réaction de VaccinFree à la lettre du Secrétaire d’État
Le troisième exemple concerne la lettre qu’Ellen Vader et Door Frankema ont adressée à Blokhuis au nom de VaccinFree. Dès le premier paragraphe, le ton est donné : selon elles, le secrétaire d’État manquerait d’informations capitales, ce qui rendrait sa position « incomplète et unilatérale ». Elles accusent les autorités de manipuler la population en dissimulant certaines vérités et en alimentant une peur irrationnelle.
Suit une série de 11 questions, toutes fermées, ne laissant au secrétaire d’État que le choix entre oui et non. Cette forme n’invite pas à l’échange mais impose un présupposé : la réalité décrite dans la question est censée aller de soi. Un exemple : « Savez-vous que moins de 10% de tous les effets indésirables sont rapportés avec Lareb ? »
Ce type de question ne cherche pas à connaître, mais à imposer un point de vue. Impossible de savoir combien d’effets indésirables ne sont pas signalés, et VaccinFree ne s’appuie sur aucune source fiable pour avancer ce chiffre. Par ailleurs, le fait de rapporter un effet indésirable à Lareb ne signifie pas que le vaccin en soit responsable. La plupart des signalements sont bénins. Les cas sérieux donnent lieu à une analyse approfondie, et le rapport annuel de Lareb détaille tout cela. Comme l’a rappelé la directrice de Lareb, aucun lien n’a jamais été établi entre les vaccins du programme national et des effets secondaires graves, malgré une attention constante.
VaccinFree s’appuie sur les témoignages de parents, préférant leur récit aux données vérifiées. Ce glissement du factuel à l’émotionnel est constant : les chiffres scientifiques ne plaisent pas ? On change de registre et on brandit les histoires les plus marquantes, en leur donnant valeur de preuve.
Parmi les autres questions, l’une évoque le livre « Comment mettre fin à l’épidémie d’autisme » de J.B. Handley et demande au secrétaire d’État s’il est prêt à le lire. Or, Handley n’est ni médecin ni chercheur, sa thèse recycle la vieille histoire du lien entre ROR et autisme, une hypothèse démontée depuis plus de dix ans et basée à l’origine sur une fraude scientifique. Rien ne tient. Pourtant, VaccinFree continue de relayer ces thèses, ignorant le consensus scientifique massif qui a fait le ménage depuis longtemps.
D’autres questions suggèrent que des faits seraient cachés par les autorités, que le RIVM et le CDC détiendraient des preuves que seuls des citoyens courageux auraient réussi à dévoiler. En réalité, VaccinFree ne fait que piocher dans des sources publiques, en sélectionnant ce qui sert son propos et en omettant le reste, à l’image de l’occultation des chiffres de mortalité sur le méningocoque W.
Faits alternatifs et visions du monde alternatives
Le secrétaire d’État veut s’attaquer à la propagation active de fausses idées sur la vaccination. Mais le défi dépasse la simple correction de quelques erreurs. Il s’agit d’affronter une vision du monde structurée, cohérente, mais opposée à la logique scientifique.
Pour le gouvernement, la politique publique doit s’appuyer sur l’état actuel des connaissances scientifiques, avec toutes les marges de débat et d’incertitude que cela comporte. VaccinFree, au contraire, place la défiance envers la science au cœur de son raisonnement et se raccroche à chaque exception, chaque publication marginale qui contredit le consensus. Les échanges entre le secrétaire d’État et VaccinFree ne s’opèrent tout simplement pas sur le même terrain.
Le philosophe John Rawls a bien décrit ce phénomène : des visions du monde incompatibles coexistent, chacune ayant sa propre cohérence et ses propres références, mais incapables de s’entendre sur une base commune. Ici, on le constate à chaque nouvelle polémique sur l’autisme ou sur l’efficacité des vaccins. Le dialogue est rompu d’avance.
Ce n’est pas forcément le fruit d’une stratégie délibérée. Les militants de VaccinFree peuvent être sincèrement convaincus de défendre la vérité. Mais leur logique, leurs « preuves » et leur rapport à la science sont si éloignés des standards en vigueur qu’il n’y a pas de pont possible. D’un côté, Andrew Wakefield, banni de la communauté scientifique, est considéré comme un escroc ; de l’autre, il est vu comme un héros persécuté, un Mandela ou un prophète incompris. Les récits de « dommages vaccinaux » abondent dans leur camp, même s’ils restent invisibles dans les statistiques officielles.
Rawls estime que la société doit tolérer le pluralisme des visions du monde, tant qu’aucun tort n’est causé à autrui. Or, tant que ces groupes sont marginaux, les dégâts sont limités. Mais avec la force de frappe des réseaux sociaux, la répétition des discours anxiogènes finit par éroder la confiance et compromettre la santé publique.
Reste à savoir si l’on doit voir dans la désinformation de VaccinFree une manipulation consciente ou une croyance sincère mais égarée. La frontière est floue. L’exemple de la vidéo sur le méningocoque W, qui omet volontairement certains chiffres, ressemble à une manipulation assumée. À l’inverse, l’adhésion du NVKP à l’homéopathie, aussi infondée soit-elle, peut venir d’une conviction réelle, mais elle n’en demeure pas moins dangereuse : elle détourne des familles des solutions éprouvées et propose des fausses pistes coûteuses pour l’autisme.
La lettre adressée par VaccinFree à Blokhuis illustre bien la stratégie de la question biaisée : quoi qu’il réponde, sa réponse sera utilisée contre lui. S’il ne répond pas, on l’accuse d’éviter le débat ; s’il répond, on lui reproche de ne pas comprendre ou de mentir. Cette posture leur permet de nourrir leur base et d’alimenter la défiance, sans jamais vraiment chercher à convaincre les autorités.
La question de fond demeure : le but de ces attaques est-il d’informer sincèrement ou simplement de mobiliser et de flatter leur public ? Impossible de trancher. Mais comprendre comment ces idées s’installent reste capital pour qui veut défendre la vaccination.
Conconclusion
La confiance des parents dans le Programme national de vaccination, et dans celles et ceux qui vaccinent, reste la clé de voûte de la politique de santé. Les discours du NVKP et de VaccinFree fragilisent cette confiance, et il est cohérent que le secrétaire d’État veuille y répondre. Mais face à des convictions aussi ancrées, à une vision du monde qui ne fonctionne pas selon les mêmes règles, l’argumentation scientifique glisse sans effet. Le défi que s’est donné Blokhuis dépasse largement la correction de quelques rumeurs : il s’attaque à un mur de défiance, bâti sur des décennies d’incompréhension. Ce défi, immense, dira beaucoup sur notre capacité collective à faire vivre la science au cœur du débat public.

